J’AI GAGNÉ UN PONEY

 

Les âges ont érodé sa langue
c’est pour ça que
je ne la comprends pas alors j’essaye un
Désolé, je ne parle pas le néerlandais…
Parlez-vous anglais ?

Je n’ai pas l’air de parler anglais ?
Mais je parle anglais
dit-elle entre ses dents
comme n’ayant jamais servi
blanches, parfaites
entourées de ses lèvres
vieilles, usées
où la barbe pique

J’ai gagné un poney vous savez
dit-elle, lorsque j’étais plus jeune
J’ai gagné un poney
Il y a longtemps
J’ai gagné un poney
Quelqu’un aurait pu le gagner
Mais non
c’est moi qui ai gagné ce poney

J’ai gagné un poney
à l’approche du vendeur  entre les sièges du wagon :

SNACK COKE CAFÉ CHOCOLAT…

Je peux avoir un Coca Light ?
Bien sûr Madame
Avec du chocolat ?
Bien sûr Madame
Je prendrai ça alors

Quel genre de chocolat désirez-vous ?
Non, non, pas de chocolat
Je veux ça.
Je veux ça !

Le saucisson ?

Oui. Le saucisson
servi, Je suis désolé mais
ce n’est pas la bonne monnaie.
Ici, c’est en euro.

Oh, je suis stupide
stupide, dit-elle.
Oh je suis si stupide…
stupide stupide
cerveau

 

 

EN REGARDANT REMBRANDT

 

Les contours du visage surgissent
de nulle part, derrière
un paysage de fourrure, l’ombre
échappe ce qu’il reste
du corps.

La lumière doucement
enveloppe
telle la tarlatane
avant la gravure, couvre les cuisses de la mariée.

Il n’avait pas sans pareil
pour soigner les visages
au milieu desquels les yeux
s’illuminent, le reste n’est que sublime.

Derrière la peinture,
il y a lui
son génie saisit le temps
ses traits à trois siècles de nous
Enfin bon, on reconnaît que c’est lui quoi.

 

 

ROOM SERVICE

L’écrivain
dans sa chambre d’hôtel
se fout pas mal d’être
dans une ville qu’il ne connaît pas

Les trottoirs toujours sont gris
les pigeons meurent
leurs ailes recroquevillées en leurs chairs
à l’abri d’une statue UNESCO

La lumière change
éclatante
proche d’un désert
l’Asie n’est pas loin
déjà  les filles

Mais dans sa chambre
la lumière jamais ne faiblit
elle change suivant l’épaisseur
des rideaux
les néons
éteinte dans la bière

Dans une autre chambre
un écrivain dira la même chose

 

 

LICHT ! MEHR LICHT !

 

L’éclat du soleil
au milieu du brouillard
le même que Goethe ?

est-ce celui-ci qu’il quémandait
avant de mourir
mieux vaut se vanter
d’avoir bu dix-huit whisky sec

certains y arrivent
d’autres y passent

le foie gonflé
l’oie jalouse
il ne lui reste plus que
cinq mois à vivre

la bière me sourit
la mousse en bouche
mon foie serait-il le même que le sien ?

si j’avais suffisamment
de courage ou de folie
je m’ouvrirais le ventre et palperais
mon foie
me rassurant qu’il fait
une taille
bonne ou mauvaise

la mort nous frappe
conséquence de la vie
il ne reste que des regrets

 

 

POW WOW

 

son feulement n'est plus
il reste dans sa gorge
raclant le silence
ses pattes soulèvent sa chair
frêle et rachitique
de sa crinière
il ne reste que des brins
de paille d' un champs desséché
la terre craquelée
d'une même couleur

ses babines ne  retroussent
elles pendent
déversant le peu de salive qu’il lui reste
il  a soif
mais boire est un supplice
sa gamelle est  trop loin
sous la vitre
derrière les flashs crépitant
l’œil des caméras braqués sur lui
le dernier de son espèce
il n’en espérait pas tant

dans sa jeunesse
depuis son poste
dans les hautes herbes
il avait vu les éléphants claudiqués
pour atteindre cette plaine jonchée d’os
parcourue de leurs ancêtres
desséchés, ce qu’ils deviendront

il ne possède nulle cimetière
et de son œil, il ne voit rien
le second, il l'a perdu
lors de sa capture
défendant sa peau comme il le pouvait
avec ses griffes et ses crocs
il y perdit un œil
et sa liberté

ses pattes s’effondrent
sa langue se répand
dans la poussière
absorbant ce que ses tripes ont relâchés
son dernier souffle

Les lions ne sont plus
et dans son canapé
en plateau-repas
John se régale d’ un gigot d’agneau
acheté 2 euro
au Lidl du coin

 

 

©JULIENAMILLARD2012