UNE HEURE

 

 

 

 

Il est peut-être temps d’y aller, non ? ; les verres, restent à finir : un p’tit dernier avant d’y aller ?, pas comme si on n’avait rien bu depuis le début mais il faut finir : pas facile quand il faut…); les cendriers, un clope aussi avant ?... : - on se prend un dernier verre avant d’y aller ? / - je me fume un dernier clope alors…dit-elle, pas très emballée, à fumer ou y aller ? ): Vous allez faire quoi ?, il vient d’arriver ? à moins qu’il ne soit au courant…) j’y réponds, trop tard, elle s’en charge : je ne sais pas, il m’a demandé de l’accompagner pour ce soir, pour la nuit, il doit faire une nuit blanche… moue perplexe, regard lunaire, ?: pourquoi tu dois faire une nuit blanche ? /- je dois filmer le  soleil, le lever du jour : BIPBIPBIPBIP uhm ?... quelle heure il est ?... ; un autre lit, seul, un Lot pour eau ; ça a sonné… ça doit être 4h00… : le lever du soleil… : encore tu as de la chance, ce n’est que pour une heure, et toi, tu as du soleil, dis-je à celui qui tout comme moi doit compter les piétons, un autre, ni de Lot ni de nuit, à midi : « la mission d’aujourd’hui, elle a l’air si sûre d’elle derrière ses lunettes mèches blondes : aucune raison pourtant, ce n’est que de l’intérim…) : compter les piétons. Vous serez disposés à différents lieux de Toulouse et, très simplement, à chaque passant passant devant vous, vous cliquez. à droite pour ceux allant vers la droite, à gauche pour ceux allant à gauche. Facile.
A gauche, ils n’écoutent pas tellement ce que l’on dit, le pourquoi nous devons faire une nuit blanche leur a échappé, alors la réponse… leur débat a l’air tout aussi intéressant : C’est gé-nial ! Gé-nial ! - ?. A droite, Caro, moue lunaire, volute de clope face mon verre, mon dernier ?) : Pourquoi tu veux filmer le lever du soleil ?... sous-titré : tu n’as vraiment rien d’autre à faire qu’attendre que le jour se lève…: - j’ai une vidéo à faire, rapport à mon boulot, mon dispositif :

 

                                   et je marche
marche
marche
l’ombre du mot
et je marche
une rose est une rose est une rose est un mot est une ombre
l’ombre du mot…
je marche
et ne sais toujours pas quoi faire
sous la pluie grêle et soleil
ne sais toujours pas quoi faire
le soleil
l’ombre du mot
et je marche
marche
marche
et me pose
chaque jour
les mêmes lieux
les mêmes voix
les mêmes gens
seuls les masques
les décors
changent
le fond ne varie
qu’au ressac
chaque écume est différente
pourtant, non ?
et je marche
l’ombre du mot
l’ombre
mot
mot
ombre

rions noir/ rions noir

                                   des fois
une fois par jour
si le soleil le veut…

 

Il faut attendre que le soleil se lève pour que les mots apparaissent, pour que les mots se projettent sur la plage, se découpent, se rendent lisible et puis, après, je pense que la bande sera finie. de toutes façons, ça ne doit pas dépasser le temps d’une cassette DV : ce n’est jamais que pour une heure : c’est quatre heures du mat’, ça ira, pas comme si je ne l’avais jamais fait. il me  faut juste un café, un blouson, le Lot tout humide, même en été les cigales sont gelées, et un ciel, dans la nuit, pour trouver l’Est, je devrai suivre les néons : un peu de lumière pour savoir où je dois poser mes pieds, mon regard, ma caméra et puis ce n’est jamais que pour une heure, pas comme si je ne l’avais jamais fait : c’est onze heures, un samedi où, seul jour de cette semaine, il y a du soleil. en tout cas pour mon camarade de piéton, même sous les arbres il en a. moi je n’ai qu’une banque, une ombre et la patience : attendre que le soleil tourne, non, attendre que la terre tourne et me redonne un peu de soleil, pas avant quelques temps… : combien de temps il va falloir attendre ? / - je mettrai la vidéo en route aux premiers raies, lorsque le verre n’est plus qu’une stèle, mortuaire ?)/ - ça fait combien de temps alors ? / - le soleil ne devrait pas se lever avant six heures et demi : le soleil devrait se lever vers cinq heures, cinq heures et demi.
Le Lot, aucun indice pour savoir quand il se lève. Quand je l’avais fait à Caro, on savait quand il se levait, pas d’erreur possible : aux premiers rayons, œil fatigue et froid brûlaient. Ici, même levé, on continue à se les geler… : Lui, le soleil il l’a mais moi, sous ma banque, les Jacobins, Toulouse, mon univers ?) à click click clik : excusez-moi, qu’est-ce que vous faites ? / - on compte les piétons. / - non ? sérieusement ? / - oui… / - mais pourquoi ? pour qui ? / - aucune idée. / - et vous voulez pas savoir qui c’est qui demande ? / - oh… (pour ce que j’en ai à foutre… que je le sache ou pas je continuerai à être ici à click chaque passant, un sur trois me demandant Excusez-moi, qu’est-ce que vous faites ?... : qu’est-ce que tu fais ? / il faut que je plante la plaque de verre dans le sable, pour qu’elle tienne droite et je dois la planter face le soleil, quand il sera là, elle devra être face le soleil… Il est où le soleil ? C’est où l’Est ?... Le soir, quand je le vois se coucher, où va-t-il ?... uhm… peut-être… oui… un truc comme ça… l’opposé… ?... oui, ça doit être ça… et plante le verre. Une fois ça fait, ma main passe repasse égalise le graviersable qui réceptionnera les mots, question de protocole… le protocole ? click click click click : très simple. un homme femme enfant passe, click. ceux allant vers la gauche sur le click de gauche. ceux allant vers la droite sur le click de droite. quelqu’un a des questions ? : pourquoi cette région est aussi vide ? il est cinq heures du mat’, la nuit est bien nuit, rien ne sort du noir. quelques phares au loin apparaissent disparaissent dans les virages aux courbures du Lot, essayent de se rentrer après une soirée, ?, !), n’ égratignent la moindre parcelle d’obscurité : il n’y a vraiment que pour les vieilles pierres qu’on peut se finir ici. /-?. : allongé sur le graviersable, un sweat pour me calfeutrer, les ressacs me bercent, m’endorment… attendre que le jour se lève… Caro ? : Je ne pouvais pas dormir… : Ça va ? Tout va bien ? Vous avez besoin d’un coup de main ? – pour click click click ? : non, merci, ça ira… / - Tu as le numéro de Patricia ? / - Patricia ? / - la chef. / - non… / - Tu veux le prendre ? / - Pour ? je pense pas avoir besoin de son numéro pour compter des passants…/ - Ah ! tu es un grand garçon. / - uhm… ça doit être pour ça qu’allongé sur la plage, blotti entre mes bras, me réchauffe comme je peux, sur le graviersable, l’humidité matinale me mordant, les ressacs droite gauche les verres ingérées de la soirée droite gauche les passants souriant, donnant quelque fois des piécettes à l’accordéon sis face à moi, toujours un bonjour tout sourire à celles et ceux ne lui donnant rien, ni sourire ni bonjour alors une piécette… mais quand celle-ci tombe, Merci.
Au loin, derrière les collines, montagnes ? dans le noir, ça ne dépasse jamais ma main, le plus haut où je peux voir) jalonnant le Lot, le ciel se dissipe, s’enthousiasme, s’éclaircit de quelques gris, timidement blanc, blafard, triste… quelques secondes suffisent pour que la lumière soit et que le noir recule, bien bas, élogieux en sa présence, une révérence que je ne ferai pas lorsque le soleil, sur la plage, me mord, m’oblige à reprendre mes esprits pour que je me lève et mette la caméra en route : je commence à filmer ? oui, ça devrait être bon : le soleil se lève sur le Lot, derrière moi, l’Est est derrière moi… 
Le quart d’heure est passé, il est temps de pointer le nombre de passants traversant cette rue Jacobins, remettre les compteurs à 0 et reclick click click… : l’Est est derrière moi, avant qu’il n’arrive à la caméra, je n’aurai déjà plus de bande… Stop/Stop : la plaque n’est pas en face. Stop, rembobine. Sors la plaque, re-enterre-la, dans la bonne direction, pour que le soleil la lève : rembobine la bande et attends. Le soleil se fait de la place, prépare son nid ; quitte à attendre, autant être bien installé ; balaie les restes de nuit, un coin après l’autre, d’abord au fond et remontera jusqu’à moi ; s’il faisait l’inverse, se retrouverait coincé… : au bord de ma page, au bord de ma marche, assis, debout, un pied sur le mur, continue à click, observe mon camarade de click cliquer, aussi impatient que moi que cette heure se termine, peut-être que je la croiserai ?
L’accordéon ne s’interrompt pas, jamais. Il pianote respire les mêmes airs en tout sens, medley tout et n’importe quoi qui apporteraient des sourires, animeraient ses bonjours, quel beau jour ! : le soleil passe, les mots se forment, ne reste qu’à attendre pour comprendre ce qu’ils sont, ce qu’ils forment : seul le temps nous aidera à comprendre ; vraiment ? Voilà un quart d‘heure - pointage, remise à zéro, click - que j’attends que l’Est vienne jusqu’à moi… n’a pas l’air de se décider… ça serait tellement plus simple si je l’écrivais ; en trois mots il serait là, je n’aurai plus besoin d’attendre qu’il déblaie son chemin, il serait là, ce serait filmé, et me serai déjà recouché… si je pouvais l’écrire, je ne me serai même pas levé, un titre aurait suffi : quel est mon nom ? Nom de l’enquêteur : numéro de code : 61 et lunettes sac à main cheveux gélifiés, plaqués, rien qui dépasse, tailleur acheté déchiré, fait plus vivant, main dans la main, petit sac Lafayette, Comptoirs des Cotonniers, bras dessus bras dessous maman, petit ami, copines, caniche, un samedi shopping et click l’accordéon Bonjour, Dansez ! Dansez ! N’a que quelques piécettes pour son soleil de midi et continue à jouer : Elles – les lettres – continuent à être, s’efforcent de naître, se découpent sur le graviersable où je dors… le soleil travaille pour moi, et pourtant elle – la caméra - tourne… pas besoin d’être là pour que les mots se forment ; Caro, bras autour de ses genoux, tailleur pour se réchauffer, pour surveiller… et le soleil s’allonge, enfin, jusqu’à moi : lance la bande et regarde la nuit s’effondrer… : peut-être que je la croiserai ?...

 

 

 

 

 

 

©JULIENAMILLARD2012