les tournesols

 

 

qu’est-ce que tu fais ?

j’essaye
d’écrire
sur les tournesols.

ah ?

ouais, j’aime bien ça
les tournesols
me dit-il tout ému
je trouve ça très beau
enthousiaste à ces soleils qui s’ouvrent
lorsque le soleil brille, c’est plus facile
j’aimerai écrire un truc sur
mais rien ne me vient…
La poésie, c’est supprimer
pour dire l’essentiel
et je mets toujours trop de mots
je ne devrai en mettre que quelques uns
mais il y en a toujours trop…
peut-être que le véritable poème
est celui qui ne contient aucun mot ?
suggère-t-il un sourire en coin

et ne répondis rien
mon verre se remplissait vidait
à une bonne cadence
et ne trouvais rien à dire
J’avais déjà lu certains de ses textes
ceux qu’il exhibait sur un autel
face la porte d’entrée
c’était même la première chose qu’on voyait
en entrant chez lui
tous les livres qu’il avait écrits
publiés grâce à
internet

La première fois que je l’avais rencontré
il exhibait tous les autres
me parlait de son amour des mots
de tous ces grands qui le fascinaient
son mur en était couvert
maintenant il n’y avait plus que lui
son autel
et mon verre s’emplissait vidait
à la même cadence

La poésie….
Les mots…….
ils doivent être une lame
une grande lame qui te transperce
du sommet de ton crâne à tes couilles
tes pieds
sentis-je mes lèvres remuer

Quel ramassis de connerie !

Jouer à son petit jeu n’était qu’un piège de plus
et je m’y enfonçais
les bras ouverts la gueule assurée
J’aurais dû la fermer
mais préférais proférer ces merdes
plutôt que lui balancer ses livres
l’empoignant qu’il devrait arrêter
de nous faire chier
avec toutes ces manières
tous ces bons mots bien appris
recopier des milliards de fois dans tous ces grands
tous ces livres
qui n’intéressaient personne
d’autre que son autel
lui

 

 

 

comment devient-on le meilleur ?

 

 

il suffit d’
attendre
que les meilleurs
meurent

 

lorsqu’il ne reste plus que
nous
alors devient-on le
meilleur

on ne devient le meilleur que par défaut

c’est ce qui est arrivé à
Turner
et
Bukowski
entre autre

 

cela est valable aussi pour
la vengeance
et à peu près
tout
ce qui concerne
un
autre

 

 

 

 

la Garonne n’entend plus

 

 

c’était la première fois que je venais
sur Toulouse
et comme ça m’était souvent arrivé
je passais une nuit blanche
dans la rue
à regarder les créatures nocturnes
qui jonchaient Toulouse
auscultant le ciel
pour chercher à savoir
s’il était différent de ceux que je connaissais

en attendant que le train passe et me ramène
là où je m’abaisserais
les genoux dans la caillasse
à récolter le raisin
La têt’ dans le cep !
que je bois maintenant

en attendant le train
j’allais au cinéma
voir des pirates insipides
qui m’offrirent leur temps pour dormir

et retournais à la rue

des Anglais ivres cherchaient à savoir si le train allait finir par passer

oui, mais pas ici
il faut aller à la gare

la gare ?

oui, par là

par là ?
et s’en allèrent

des couples s’offraient un pique-nique sous la blanche
déballant leur emballage Big Mac
il manque une frite

et continuais à marcher
passant sous les douze
signes de bronze ornant le Capitole
où siégeait des tribus sises en cercle 
se passant des verres et bouteilles
à une heure où plus rien n’est disponible pour avoir

j’avais essayé de me trouver
une bière un vin
et rien

je trimballais mon sac avec
mon livre que j’écrivais
et n’ai toujours pas fini
et d’autres pour occuper mon train

la nuit se raccourcissait lorsque je tombais
sur eux
m’offrant leur Gaillac
et une bavette

ils parlaient
et parlaient
l’un était musicien
et vivotait de petits jobs pour payer son loyer et frigo
le second bossait dans l’humanitaire
et me parlait des Indiens

Ils sont beaux
ils sont si beaux
en pleine santé
ils ont une tradition de respect envers la nature
tu sais
ils ont une danse qui s’appelle la danse de l’herbe
ils font cette danse lorsqu’ils arrivent sur un nouveau terrain
où ils bâtiront leurs maisons
mais ils ne creusent pas le sol
ils dansent
dansent
jusqu’à ce que l’herbe se couche

lorsqu’ils seront repartis
l’herbe continuera à grandir

et je ne disais rien

j’écoutais celui aux indiens
qui était aussi écrivain
depuis quelques mois il s’y essayait
et l’autre
qui face mon mutisme
Mais tu dis rien ?
T’es tout timide 

et avant que je ne puisse dire quoique ce soit
son pote
Laisse, lui, il observe
t’as pas vu ?
il dit rien mais ça se voit
il enregistre tout
il conserve

 

 

vocation

 

 

c’est fou ça !

ah ?

oui
moi aussi
avant
quand j’étais petite
j’écrivais
je me souviens
j’écrivais tout le temps

j’écrivais des poèmes
des trucs sur la réalité de chacun, tu vois
ce genre de truc
j’écrivais aussi des lettres
à mon père
c’était la seule façon que j’avais pour pouvoir communiquer
avec lui
et puis j’ai arrêté
parce que ma belle-mère ne savait pas lire
elle croyait que j’écrivais des saloperies
sur son compte
ce qui était faux
mais j’ai dû arrêter d’écrire
à mon père

plus tard je continuais d’écrire
avec une copine
on  écrivait sur nos vies
de vraies sitcoms
on avait commencé un roman toutes les deux
sur ce qui nous arrivait
avec les mecs tout
ça

on ne l’a jamais fini
je me souviens
quand j’étais petite
j’écrivais tout le temps
tout le temps
et maintenant
plus
rien

 

 

 

 

©JULIENAMILLARD2012