NOCTURNE
Raconte-moi une histoire demandait-elle des fois quelques fois elle voulait une histoire aussi disait-elle Raconte-moi une histoire et lorsqu’elle disait Raconte-moi une histoire le plus souvent elle le disait dans le creux de son oreille, sa main dans ses cheveux descendant la courbure de son visage au souffle doux et chaud remontant le long de son nez qui se terminait par ses lèvres Raconte-moi une histoire jusqu’au croisement de ses yeux mi-clos déjà partis au pays où il devait voyager lorsqu’elle lui disait Raconte-moi une histoire.
Je t’ai déjà raconté l’histoire du plus grand pianiste de tous les temps ? lui demandait-il lorsque sa main, du bout de ses doigts, légèrement, du bout de l’ongle, glissait de son visage jusqu’à son cou jusqu’à son ventre son nombril qu’il quittait tout juste effleuré pour remonter à ses seins contournés d’un effleurement le carrousel de ses tétons doucement dressés vers ses doigts autour de son mamelon tendrement avant de revenir vers son abdomen rond et chaud invitant son pouce à suivre le contour de son nombril de sa main toute entière plaquée sur son ventre rond et chaud son petit bidon…..
Non….. de sa jambe entourant sa cuisse, d’un souffle léger, presque un murmure….
Et sa main ne quittait pas son bidon mais ses doigts cherchaient un continent et frôlaient le bas de ses seins le haut de ses cuisses jusqu’au départ de son pubis : C’était le plus grand pianiste que le monde n’eut jamais connu et personne sur terre ne l’avait jamais vu.
Il était né sur un bateau et n’en était jamais descendu.
Sa vie entière, il la passa sur ce bateau et c’est sur ce bateau, personne n’a jamais su comment, qu’il avait appris à jouer du piano et depuis toujours il en jouait de ce piano le long des longs trajets traversant des océans d’une terre à une terre d’une langue à une autre toujours sur son bateau il jouait du piano.
Certains disaient que c’était la mer qui lui avait appris. Tout ce qu’il savait il le tenait de la mer. Les montées et descentes adaggio fortissimo piano piano la longue note placide calme comme de l’huile comme de l’huile à la surface de l’eau laissant transparaître le fond de l’océan et qui au moindre remous ne bouge pas et t’emporte
oui c’était la mer qui lui avait appris à jouer du piano et il n’y avait que sur la mer qu’on pouvait le voir jouer de son piano.
Et son regard était clos dans la nuit la lumière passant à travers les lamelles du store baissé ne montrait que son regard clos et son souffle emporté sur l’océan sur laquelle il jouait, son océan tendre et chaud son corps enroulé autour de son corps recouverts tous deux par la couette protégeant leur chaleur et leur silence Ça aussi c’était la mer qui lui avait appris le silence réconfortant et quelque fois terrifiant, annonciateur des premiers mots qui peuvent vous emporter loin si loin de chez vous mais pas pour lui car chez lui ce n’était nulle part son chez lui ne se trouvait nulle part ailleurs que sur des eaux sur ses eaux
partout.
Il n’est jamais descendu de son bateau ?.......
Jamais. Même lorsqu’il était dans les ports lorsque tout le monde descendait les marins s’échangeaient les passagers se remplaçaient les cargaisons se remplissaient mais lui non lui il restait sur son bateau où des fois de rares fois il jetait un œil sur les pieds de celles et ceux abordant le sol quittant la mer et regardait les chapeaux se coiffer et disparaître à l’horizon des rues, mais lui non.
Son horizon n’avait aucune limite n’existait même pas parce que lorsque tu es né sur les eaux lorsque ta terre n’est qu’eau tu n’as aucun point d’où tu peux voir l’horizon parce que l’horizon quand on est sur les eaux quand on est au milieu on est au milieu et au milieu il n’y aucun horizon il n’y a qu’un infini et son infini n’aboutissait nulle part mais commençait quelque part – il faut bien un début pour commencer…) à ses doigts tapotant glissant de son ventre à ses cuisses à son ventre à son entre-cuisses là où l’horizon commençait là son infini commençait assis le dos courbé les doigts proche de son oreille proche de son regard clos parce qu’il n’avait plus besoin de voir parce qu’elle n’avait plus besoin de voir mais juste de sentir mais juste de sentir ses doigts toucher son corps toucher les touches noires et blanches fines et larges là où ses lèvres fermées commençaient à s’entrouvrir et à souffler de petits airs mêlés de salive de petits airs à ses doigts tapotant glissant d’une touche à ses cuisses à cette touche à ses lèvres touchant les siennes touchant les siennes s’entrouvrant légèrement juste assez pour étirer un sourire et laisser échapper un filet d’air s’accélérant s’accélérant à ses doigts touchant ses touches touchant son corps l’enserrant de son bras de ses jambes ses cuisses repliées autour de lui un filet d’air s’accélérant s’accélérant fortissimo
avant de retrouver
un léger
silence
non tu
simplement contenu
dans
un
filet
d’air
un filet d’air
absorbé dans son corps dans ses touches
allant d’un bout à l’autre
suivant les vagues
allant et venant
venant allant et
un
filet
d’air
©JULIENAMILLARD2012 |