En 2010, lors d’un séjour à Dublin, je tombai sur un concours de poésie sur le thème de la ville.


Quelques mois plus tôt, subjugué par 'The Waste Land' de T.S. Eliot, je m’étais décidé à écrire « mon » 'Waste Land' ; en ce sens qu’à l’instar de T.S. Eliot, mon poème tisserait à la fois des éléments de ma vie personnelle, des renvois vers les poèmes et écrits littéraires qui me forgèrent et des éléments de la vie quotidienne.


Ma rencontre à Dublin  d'avec ce concours et mon envie d’écrire « mon » 'Waste Land' donna naissance à ce poème : Allons-nous baigner.

 

Allons nous baigner

 

 
 

Qui coule en premier
la rivière ou la ville ?
Ses quais jonchent la Garonne passe
les ports de la
Ciutadella
délaissant ses ombres dans ses f
euilles

au son des tambours je m’éveillais
les verres renversées ils dansaient
bras dessus bras dessous ils dansaient
caressaient l’herbe la courbaient
jamais ne la brisaient
ils sont magnifiques n’est-ce pas 
me dirait-il avant le départ, son Gaillac pour nous
séparer

et le train crisse

St Charles ronronne se prélasse
au Midi / Zuidstation
il y a des bières qui ne chantent qu’en certain lieu
la Cagole remue sa jupe comme sur ces pistes berlinoises
où la langue n’existe qu’en mélange
le miroir était couvert d'eau
et la mémoire s’échappait
dans les tournants de la Liffey
Ses pavés, dans leurs interstices, ses mots nous masquent
jusqu’à l’apparition d’Estève. Estève ? c’est Estève !
Salut Estève !

Oui oh
oui
Oui oh
Salut aussi
et son clope au bec il repartit
emportant ses volutes à ses basques
passant un pied après l’autre
se mordant un pied l’autre
comme le Rhône tourbillonne sous Lyon
glisse les accents jusqu’à

Je le suivais du regard, mon ombre me le dérobait
les mains dans les poches, le ciel toujours d’azur
les mouettes volètent et piquent à l’embrasure des sirènes
les éléphants jamais n’oublient, portant leur château sur leur dos
ils devancent Clerckenwell et rougissent à l’heure du thé
à l’heure où mon coude levé, la lèvre à l’embrume
la mousse entre à ma bouche
la brunâtre me dessèche
et je porte mes pas
ne pas tomber, se laisser choir
sur les marches où nos lèvres toujours s’embrassent
tes lèvres dans la cerise amère
tu me demandais si
j’ai bu aujourd’hui ?

Non, je suis resté
dans le bar
passant les passants qui passent
et laissent leurs mots
leurs petits bouts de vie à mes oreilles

Comment fait-on pour entendre
sans  voir qui parle ?

Les masques s’échangent comme leurs livres
leurs villes qui jamais n’existent
une louve les accueillit et leurs mains bâtirent leurs langues.
Une messe pour chacune d’entre elles aura lieu
à des heures différentes, des jours différents
il ne naîtra pas toujours le 25 ni ne mourra à 33.
Sur cette carte, regardez, il est renversé
Et sur celle-ci, un soleil pour couronne
Il ne saigne ni ne pleure
C’est un bon signe vous savez 
Son bâton toujours tape sur les pavés
quelque fois s’inter
stice
bég

b
bredouille-t-il pour toujours suivre les quais
construit pour cette eau qui ne se mit à couler
qu’à l’appel des canaux
lorsque les amants gondolent
le soupir des condamnés
le soupir des condamnés

Arc bandé yeux
cachés sous ses ailes dressées Eros immobile
tourne
en ce cirque
tourne
quand une feuille
hira
hira
dans le silence de sa chute

La rivière chute
l’éléphant continue
sa marche
de château en château
traverse les villes les pavés
passant les passants
émerveillés
de voir un éléphant sans pied
offert d’une ville à une autre
et tu me demandes s’il fera beau aujourd’hui

Ce matin le ciel était bleu
sans nuage
mais ici, tu sais, le soleil ne dure pas

La rivière toujours brille
reflète les pavés et les ponts
et tu me dis que la poésie
c’est sortir de ce que nous sommes
quitter nous, où nous sommes
et flâner dans une ville sans carte
une ville où la carte toujours se noie

Tu sais
c’est comme ça qu’ils savaient que les mots étaient les mots
leur ville était leur ville
souvent
lorsque la lune était pleine
ils prenaient leurs livres leurs cartes
et quand la danse fut finie
l’encre se noyait

Diluée elle allait
jusqu’au fleuve
la mer
l’azur

Je connais une crique
inconnue si tu ne la connais pas
elle n’est connue que de bouche
à oreille elle remue

Allons nous baigner

 
 
 

 

 

 

 

 

 

©JULIENAMILLARD2012